C’est ce 18 mars que le gouvernement belge devrait confirmer son choix de scénario dans le cadre de la sortie du nucléaire: soit la fermeture de tous les réacteurs nucléaires d’ici 2025 et leur remplacement par des moyens de production d’électricité alternatifs (vraisemblablement de nouvelles centrales au gaz), soit la prolongation temporaire de deux réacteurs. 
 
Pour faire ce choix, le Premier ministre Alexander De Croo a rappelé que le gouvernement prendra en compte deux facteurs: la garantie d’approvisionnement et le coût de l’électricité. Certes, la guerre en Ukraine et l’envolée du prix de l’énergie démontrent à quel point ces deux critères sont déterminants. Toutefois il semble avoir oublié un troisième facteur, pourtant clairement défini dans l’Accord de gouvernement qui déclare: « La conduite d’une politique climatique ambitieuse va de pair avec la transition vers un système énergétique durable. Il est crucial à cet égard que la sécurité d’approvisionnement, la durabilité et le coût abordable en soient garantis. »
 
En tant que mouvement citoyen qui lutte depuis plus de trois ans pour instaurer cette politique climatique ambitieuse, nous nous opposons formellement à la construction subsidiée de centrales électriques au gaz, en contravention flagrante du critère de durabilité.  
 
Le gaz qui alimente depuis plus d’un siècle nos chaudières et cuisinières est communément appelé « naturel », un euphémisme qui évoque une énergie propre et écologique. En réalité, le gaz est un combustible fossile au même titre que le charbon et le pétrole, dont les émissions de CO2 par unité de chaleur sont certes moindres (un quart de moins que le mazout, la moitié du charbon), mais tout sauf négligeables. Selon les perspectives du Bureau fédéral du Plan, l’opération des nouvelles centrales triplerait la contribution du gaz fossile à l’offre d’électricité en Belgique de 19 % en 2021 à 56 % en 2026, alors que l’électricité à partir de sources renouvelables n’évoluerait que de 26 à 30 %. Dans ce scénario, la Belgique serait le seul pays de l’Union européenne à augmenter la part de combustibles fossiles dans son électricité. Le résultat serait une progression des émissions totales de gaz à effet de serre de 108,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2021 à 121,2 millions en 2026, soit une augmentation de plus de 11 % alors que la Belgique est censée réduire ses émissions de 47 % d’ici 2030, à peine quatre ans plus tard !
 
Comme le déclare l’ingénieur expert Maxence Cordiez, « faire compenser par d’autres une absence d’effort chez soi – pire, une augmentation délibérée de ses émissions de gaz à effet de serre – n’est pas une approche pérenne ni responsable face à l’urgence climatique. »
 
Pire encore, la composante principale du gaz naturel est le méthane (CH4), un puissant gaz à effet de serre qui a un effet de réchauffement de l’atmosphère 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur une période de 20 ans. Le GIEC estime que les émissions de méthane dûes à l’activité humaine ont contribué à un tiers du réchauffement climatique depuis l’ère industrielle, et selon l’Agence internationale de l’énergie, environ 40 pourcent de ces émissions sont attribuées au secteur de l’énergie. En 2021, l’exploitation du gaz a émis 39 millions de tonnes de méthane, dont la Russie (qui fournit 40 pourcent du gaz importé par l’Union européenne) et les Etats-Unis sont chacun responsable de 14 millions de tonnes. Ces émissions massives de méthane proviennent de fuites occasionnées à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement du gaz: l’exploration, l’extraction, le stockage, la distribution et la consommation. Si elles ne sont pas colmatées, l’effet des émissions dites « fugitives » de méthane sur le réchauffement climatique annuleront en grande partie la réduction du CO2 réalisée par la substitution du charbon par le gaz, pourtant vanté comme « énergie de transition ». Ces fuites si nocives pour le climat ne sont pas réglementées par l’Union européenne, ni même mesurées et quantifiées avec précision. Ce n’est qu’en décembre 2021 que la Commission a publié une proposition de règlement concernant la réduction des émissions de méthane dans le secteur de l’énergie, règlement qui devra encore être négocié et approuvé par le Parlement et le Conseil européen. En attendant, il n’y a aucun incitant pour les exploitants du gaz à réduire leurs rejets de méthane, et ce sont finalement les consommateurs qui paient pour ces émissions qui dérèglent le climat.
 
Faut-il rappeler que la Belgique est un des 111 pays signataires de l’Engagement mondial pour le méthane, visant à réduire les émissions de méthane d’au moins 30 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2020? Un engagement qui appelle à « prendre des mesures nationales complètes pour atteindre cet objectif, en se concentrant sur des normes pour atteindre toutes les réductions possibles dans les secteurs de l’énergie et des déchets ».
 
Nous sommes fiers que la mobilisation citoyenne de septembre 2018 à mai 2019 ait contribué à l’élection de majorités réceptives à l’urgence climatique, tant au niveau fédéral que européen, régional et communal. Mais lorsque ces élus nous paraissent faire fausse route sur la voie de la transition énergétique, notre devoir est de le signaler. Paradoxalement, nous sommes en diapason avec les fédérations patronales qui dans une déclaration commune insistent elles aussi sur l’importance de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et demandent aux autorités de mener une politique énergétique qui respecte nos engagements climatiques. Espérons que ce plaidoyer de la part de la société civile et des entreprises soit entendu par nos dirigeants.